Les souvenirs : entretien avec Michel Blanc

L’acteur et réalisateur Jean-Paul Rouve sort son prochain long-métrage, Les Souvenirs, le 14 janvier prochain. Un film intergénérationnel inspiré du roman éponyme de David Foenkinos qui met en scène un petit-fils qui part à la recherche de sa grand-mère. Entretien avec l’acteur Michel Blanc.


Qu'est‐ce qui vous a séduit dans ce projet ?

Le mélange de comédie et d'émotions authentiques, car il s'agit d'un véritable film d'auteur qui propose une vraie représentation de la vie. C'est tout à fait comme dans la vraie vie, avec la patte de Jean‐Paul en plus dans l'approche tendre des personnages. C'est ce que j'appelle la « Rouve touch » ! Par exemple, son personnage d'hôtelier déglingué qui picole et se prend d'affection pour le jeune homme me touche beaucoup. Parfois, dans un scénario, on sent que l'auteur s'est fait plaisir pour écrire une jolie scène, mais qui n'apporte rien et qui sautera finalement au montage. Ce n'est pas du tout le cas des Souvenirs : il y a une originalité et un mélange très rare de répliques très drôles –comme dans la scène du commissariat– et de séquences de pure émotion autour d'Annie Cordy.
 
Comment décrire votre personnage ?

C'est un type incapable de s'avouer qu'il ne supporte pas d'avoir pris sa retraite anticipée et d'être livré à lui‐même : il ne se rend pas compte que c'est lui qui change, qui devient insupportable et qui pourrit la vie à sa femme ! Là‐dessus, se greffe le problème de sa mère, et il se retrouve donc particulièrement affaibli à un moment où il devrait être fort. J'ai trouvé cela très structurant pour construire le personnage. Là où il faudrait un type qui tape du poing sur la table, il se laisse guider par ses frères : l'idée de placer sa mère en maison de retraite ou de vendre l'appartement ne vient pas de lui. Pour moi, c'est un homme qui a démâté à un moment où la mer n'est pas calme !
 
C'est un être totalement à la dérive

Il ne se voit plus lui‐même : mon personnage n'est pas en réaction aux autres, mais il ne distingue plus ce qui se rapporte à lui. Il ne sait plus qui il est. Il a passé tant d'années à la Banque postale et, tout à coup, il ne lui reste plus rien. Professionnellement, il a le sentiment qu'il n'a rien fait de sa vie, qu'il n'a rien construit. C'est un canard sans tête. C'est vertigineux, à 60 ans, de se dire « tout ce que je pensais être la vie s'arrête », et non pas « c'est une nouvelle vie qui commence ». Et comme il ne se rend pas compte de son état, il met les difficultés relationnelles qu'il a avec sa femme sur son dos. D'ailleurs, c'est elle qui, à ses yeux, fait une déprime, et c'est là une logique stupide. Du coup, il prend prétexte des problèmes avec sa mère pour esquiver ses problèmes de couple.
 
Pour autant, c'est un personnage émouvant…

En effet, ce qui m'a séduit chez lui, c'est qu'il a des moments de grande émotion : quand sa femme lui annonce qu'elle veut le quitter, ou qu'il est face à sa mère, il a des regards bouleversés. D'ailleurs, j'ai toujours joué face à Annie Cordy comme s'il avait 12 ans : d'abord, il n'a plus d'âge à cause de ce « démâtage » dont je parlais tout à l'heure, et ensuite, on redevient vite petit garçon lorsque sa mère a un problème. Il est donc comme un gosse qui a fait une bêtise et qui est malheureux de voir sa mère malheureuse. De même, il devient le « fils » de son propre fils, et demande à ce dernier de l'accompagner voir sa mère à la maison de retraite. Il a aussi des obsessions –comme par le fait de trouver une place de stationnement à deux pas de sa destination– et des moments où il craque littéralement.
 
Il est dans cet état de cyclothymie propre aux déprimés : par exemple, il reprend du poil de la bête au commissariat et devient carrément inapte à supporter la connerie du flic ! On a le sentiment que cela lui fait reprendre pied avec la réalité : il y a tellement de bêtise en face de lui que ça lui redonne de la stabilité. C'est donc un personnage plus complexe qu'il aurait pu l'être à première vue.
 
C'est la deuxième fois qu'Annie Cordy joue votre mère au cinéma

Elle a un professionnalisme inouï : elle n'arrête jamais de travailler ! Quand elle ne tournait pas, elle partait en tournée ou allait faire un gala ! Cette femme a été sous‐employée au cinéma, d'abord parce qu'elle a une passion pour son métier, et ensuite parce que beaucoup de metteurs en scène ont oublié qu'elle avait joué avec de grands cinéastes, y compris René Clément. Elle a une justesse et une vérité extraordinaires et quelque chose d'incroyablement touchant dans son jeu. Elle a aussi une part de mystère derrière sa générosité. Quand elle joue ce personnage toute cette vulnérabilité et toute cette humanité sont palpables. Et il y a de petits moments de complicité où elle plaisante avec son petit‐fils qui sont formidables. Je n'arrêtais pas de lui dire qu'elle serait la révélation du film.
 
Mathieu Spinosi, qui joue mon fils, a quelque chose de désarmant et de charmant. Il joue parfaitement le jeune homme qui devient le chef de famille. Il a une formidable maturité et il traverse les événements du film avec la grâce de sa grand‐mère. Avec moi, Mathieu a été d'une grande justesse, l'air de dire : « je ne marche pas trop dans ta déprime pour ne pas t'encourager ».

 
L’histoire :   
Romain (Mathieu Spinosi) a 23 ans. Apprenti écrivain le jour, il est veilleur de nuit dans un hôtel... Son père (Michel Blanc) a 62 ans. Il part à la retraite et fait croire à tout le monde que ça lui est égal… Sa grand-mère a 85 ans (Annie Cordy). Elle se retrouve en maison de retraite et se demande ce qu'elle fait avec tous ces vieux. Un jour son père débarque en catastrophe. Mamie a disparu. Evadée ? C’est alors que son petit-fils va partir à sa recherche… Quelque part dans ses souvenirs ?
 
Dans son livre, l’auteur David Foenkinos nous proposait une méditation sur le rapport au temps et sur la mémoire. Les rapports entre générations, les sentiments enfouis, les déceptions de l’amour, le désir de créer, la tristesse du vieillissement et de la solitude… A relire avant d’aller voir le film. Jean-Paul Rouve a déjà réalisé Sans arme ni haine ni violence et Quand je serai petit.
 
Un film de Jean-Paul Rouve, avec Michel Blanc, Annie Cordy, Mathieu Spinosi, Chantal Lauby, William Lebghil, Audrey Lamy, Flore Bonaventura, Jean-Paul Rouve 
 

Publié le 05/01/2015 à 06:01 | Lu 2659 fois