Les seniors et la mobilité (partie 3)

Le Laboratoire de la Mobilité inclusive -qui rassemble des grands acteurs publics et privés pour analyser les difficultés quotidiennes rencontrées par les publics les plus fragiles- a mené une étude autour de la mobilité des aînés et propose en parallèle, des solutions innovantes et adaptées à leurs besoins. Dans cette troisième partie, cet organisme étudie le rôle des aidants et de la mobilité, les aides et les financements, la mobilité accessible à tous... Détails.





Aidants et mobilité

L’aidant familial est la personne qui vient en aide, à titre non professionnel, en partie ou totalement, à une personne âgée dépendante ou une personne handicapée de son entourage, pour les activités de la vie quotidienne. Le CNSA estime à 8,3 millions le nombre d’aidants de plus de 16 ans en France. Parmi eux, 3,5 à 4 millions sont des personnes âgées qui soutiennent un proche lui-même âgé (BVA).
 
Soutien dans les tâches domestiques, aide à la personne, soutien moral et relationnel : s’occuper d’un proche dépendant signifie dégager du temps et organiser et/ou réaliser soi-même certaines activités.
 
La majorité (93%) des aidants assurent une aide aux déplacements, une tâche lourde et impliquant des frais supplémentaires, pour laquelle plus d’un aidant sur deux ne bénéficie d’aucune aide. Dans ce contexte, les aidants privilégient les déplacements « nécessaires » : démarches administratives (77%), courses (73%) et soins (66%) (Enquête Laboratoire de la Mobilité inclusive 2014).
 
Sortir du logement, marcher et effectuer des tâches nécessitant un effort de concentration ou des capacités cognitives (lecture d’un plan de ville, réservation d’un moyen de transport…) nécessitent particulièrement un accompagnement de l’aidant.
 
Face au déclin des capacités de mobilité de la personne aidée, les aidants indiquent qu’ils devront l’aider plus (73%), l’aider à se déplacer (27%) et réduire leur propres déplacements (18%) (Enquête Laboratoire de la Mobilité inclusive 2014).
 
Les aides classiques (ressources documentaires dont le Guide de l’aidant familial – payant – du ministère de la Santé et formations sur les aspects psychologiques et médicaux) sont aujourd’hui peu adaptées pour « aider l’aidant » dans les tâches nécessitant des déplacements.
 
Des systèmes de répit sont proposés par des associations et des communes. Des mutuelles ou institutions de prévoyance proposent des lieux de vacances spécifiques. Par ailleurs, 46% des aidants étant encore en activité  professionnelle, de rares entreprises s’engagent dans leur soutien. Les aidants déplorent le manque de services de mobilité adaptés aux seniors, en particulier dans les petites communes et en zone rurale. Au total… 70 % ressentent le besoin d’être plus informés (Enquête Laboratoire de la Mobilité inclusive 2014).

Dispositifs, aides et financements

Très peu de seniors (6%) bénéficient d’une aide à la mobilité. Lorsque c’est le cas, il s’agit principalement de conseils. Une écrasante majorité déclare d’ailleurs ne pas souhaiter bénéficier d’une aide (Enquête Laboratoire de la Mobilité inclusive 2014).
 
Le passage de la vie active à la retraite est l’occasion de diffuser de l’information et des conseils aux jeunes seniors pour encourager l’activité et le maintien de leur autonomie. Des actions de conseil et information sont menées par les caisses de retraite et la plupart des assureurs et des mutuelles. Des ateliers collectifs sont également proposés : prévention des chutes, sensibilisation à la sécurité routière, renforcement musculaire, etc. En revanche, les ateliers visant à accompagner le senior dans un parcours mobilité (exemple : utiliser les transports en commun) sont très rares.
 
L’Allocation personnalisée à l’autonomie (Apa) est mobilisable en cas de perte d’autonomie. Elle couvre en partie les dépenses de toute nature pour accomplir des actes essentiels de la vie, dont les déplacements. L’assurance maladie prend également en charge, sous certaines conditions, les frais de transport des malades âgés. D’autres aides visant à financer des prestations de transport existent, telles que le Chèque 
 
Les structures d’action sociale et associations caritatives aident également les personnes en difficultés pour leurs déplacements. Néanmoins, les plus de 65 ans sont plus difficiles à toucher, car ils se déplacent moins et sont moins « visibles », notamment en cas d’isolement. Ces structures participent à ce titre au dispositif national de lutte contre l’isolement social des personnes âgées Monalisa.
 
Les aides aux seniors dédiées à la mobilité, noyées dans les aides d’action sociale générales des principaux financeurs, sont ainsi difficilement quantifiables. Certains seniors « échappent » à toute aide, soit parce qu’ils n’entrent pas dans les critères nécessaires, soit parce qu’ils méconnaissent, de même que leurs aidants, l’existence de ces aides.
 
En milieu urbain comme en milieu rural, des dispositifs de transport accompagné existent pour prendre en charge les déplacements des seniors peu autonomes. Insuffisance chronique de l’offre en ville, périmètres géographiques souvent réduits, manque de souplesse dans les horaires, absence d’un accompagnateur, coûts d’exploitation élevés...Ces dispositifs ne répondent, surtout en milieu peu dense, qu’aux besoins d’une petite partie de  la population. En complément, l’entraide en famille, avec des amis ou avec des bénévoles, est une réalité pour un grand nombre de seniors sans solution de mobilité.
 
Les structures d’accompagnement et d’accueil des seniors enquêtées proposent divers types d’aides et accompagnement en matière de transport et de mobilité. Mais 7% d’entre elles seulement disposent d’un budget spécifique pour ce faire.

Les opportunités offertes par la mobilité inversée

« Faire venir » jusqu’au domicile, ou à proximité  du domicile, certains biens et services est un moyen  efficace de prolonger l’autonomie des seniors.
 
Développement  de la gérontotechnologie
Réunir en un seul outil l’ensemble des actes et informations à connaître et à retenir, introduire une « réalité augmentée » au domicile et rendre ainsi plus efficace l’intervention des différentes aides à domicile reçues par le senior, tel est l’objectif de la gérontotechnologie, c’est-à-dire l’ensemble des outils numériques et technologiques utilisés pour faire face aux pathologies des seniors.
 
Ces solutions devront cependant surmonter le stade de l’expérimentation, devenir financièrement plus accessibles aux personnes les plus modestes et surtout, être adoptées par les seniors, encore peu réceptifs à l’usage des nouvelles technologies. Ainsi, 21% des seniors qui possèdent un smartphone ou une tablette ne savent pas télécharger une application. De même, les seniors qui n’utilisent pas Internet disent dans 55% des cas ne pas en avoir l’utilité et pour 33% ne pas savoir s’en servir (Enquête Laboratoire de la Mobilité inclusive 2014).
 
Services en milieu rural
Pour faire face aux difficultés d’accès aux services publics et aux commerces en milieu rural, plusieurs dispositifs ont été mis en place : relais service public, points multiservices, maisons départementales, relais Poste et agences postales communales. On compte près de 7.000 structures de ce type (DATAR).
 
Apprendre à faire ses courses sur Internet
Les premiers postes de dépenses des seniors sur Internet sont les biens culturels, les voyages et l’habillement (Senior Stratégic), au détriment des courses alimentaires en ligne. Vendre en ligne des produits aux seniors demande de s’adapter à leur façon de « surfer ». Les internautes de plus de 65 ans sont 43% plus lents que la tranche d’internautes 21–55 ans (Nielson Norman Group). Le frein psychologique au recours à ces solutions dématérialisées est aussi à prendre en considération.
 
 « J’habite un étage élevé et je n’ai pas d’ascenseur, mais je refuse de me faire livrer. Je ne veux pas donner le code de mon immeuble à n’importe qui. »
 
La télémédecine La téléconsultation, grâce à laquelle un médecin donne une consultation à distance à un patient, ou la télésurveillance médicale, qui permet à un médecin de surveiller et interpréter à distance les paramètres médicaux d’un patient, sont deux exemples concrets de télémédecine. 331 dispositifs en projet étaient recensés par la Direction générale de l’offre de soins en 2013, la moitié d’entre eux étant en  capacité de traiter des patients.
 
Les aides à domicile
Les aides à domicile compensent la perte de mobilité et d’autonomie des seniors. Ils ou elles réalisent diverses tâches : ménages, courses, repas et toilette principalement. Les déplacements de ces professionnels jusqu’au domicile des seniors posent cependant des problèmes : risques professionnels liés à la conduite, coût élevé du poste déplacement pour les professionnels comme pour les structures, etc. (UNA)
 
En complément de ce qui précède, la concurrence avec le secteur de la petite enfance et la raréfaction sur le marché du travail du profil type des aides ménagères (femmes âgées entre 30 et 50 ans, avec un niveau d’études peu élevé) risquent ainsi de compliquer le recrutement des  aides à domicile.

Mobilité, seniors et personnes en insertion sociale et professionnelle
En 2012, 19% des 60-64 ans et 2% des 65-69 ans exerçaient encore un emploi (INSEE), souvent à temps partiel. Depuis 2013, les chômeurs de plus de 55 ans ne bénéficient plus d’une dispense de recherche d’emploi. Pratiquement les trois-quarts (73%) des chômeurs de plus de 60 ans sont des chômeurs de longue durée (Pôle Emploi).
 
On estime que les deux-tiers des ménages de retraités sont composés de retraités populaires (Guérin & Guilluy). L’ensemble des projections laissent à penser qu’à l’avenir, les revenus moyens des retraités seront en baisse. Les seniors sont donc, pour une partie d’entre eux, des personnes en difficultés sociales ; leurs vulnérabilités se recoupent souvent avec celles des publics en insertion sociale et professionnelle.
 
Environ 15% des personnes de plus de 60 ans doivent faire face à des difficultés matérielles et financières ; pour rappel, 20% des personnes en âge de travailler peuvent être ponctuellement ou durablement en situation d’empêchement de mobilité (Laboratoire de la Mobilité inclusive 2013).
 
Les problèmes de santé, prégnants pour les seniors et plus souvent présents chez les précaires en général, restreignent la capacité à être mobile. Les difficultés cognitives ou psychologiques et les problèmes de compétences en mobilité, encore largement sous-estimés, sont tout autant importants : dégradation des capacités cognitives, difficultés d’appropriation des outils numériques, moindre maîtrise de solutions de mobilité du quotidien, freins psychologiques au « sortir de chez soi »…
 
Ces différentes vulnérabilités ont des conséquences similaires chez les deux populations. La dépendance à l’aide d’autrui (famille, professionnels) : ne pas ou ne plus être mobile, quel que soit le motif de déplacement souhaité nécessite une aide matérielle et financière ou une aide à l’autonomie ; et un plus grand isolement, avec le vieillissement ou un phénomène d’« insularité » des personnes en situation de précarité  (Le Breton).

​Quelles perspectives

Des équilibres  géographiques modifiés 
Les plus de 65 ans, plus nombreux en périurbain qu’en centre-ville en 2030, seront-ils assignés à résidence si les politiques de transport n’évoluent pas ?
 
Le recul  de l’âge de la retraite
Comment concilier défi de l’emploi et défi de la mobilité, c’est-à-dire rester mobile pour pouvoir rester actif ?
 
Les seniors  de demain sont les actifs d’aujourd’hui 
Comment favoriser de nouvelles pratiques de mobilité et sensibiliser à l’enjeu de la prévention en matière santé, et donc d’autonomie ?
 
La place incontournable des NTIC dans la mobilité
Toujours plus performantes, les NTIC se diffusent dans tous les milieux et tranches d’âge de la population. Les seniors sont cependant les plus exposés à la fracture numérique. Répondre à cet enjeu s’inscrit dans une temporalité de court terme, pour ne pas laisser au bord de la route les seniors d’aujourd’hui.
 
La conception  universelle des outils de mobilité  et des politiques publiques 
Cette approche est plus rationnelle d’un point de vue économique, puisque les services mis en place profitent à tous. Surtout, elle est la plus porteuse de cohésion, de respect et de bienveillance. Basée sur l’intérêt collectif, elle ne pourra répondre seule à toutes les attentes individuelles et devra donc être accompagnée d’actions pédagogiques et de sensibilisation. 

Article publié le 20/11/2015 à 01:00 | Lu 7109 fois