Le village de l’Allemand de Boualem Sansal : dans le chleuh de tes yeux





Deux jeunes hommes sont confrontés à l’histoire. L’aîné est hanté par le passé, le cadet est inquiet de l’avenir. Tous deux sont animés de mêmes interrogations. Qu’est-ce qu’être un homme ? Quelle conduite dois-je avoir ?

Lorsqu’il apprend la tuerie qui a décimée une partie de son village natal en Algérie, Rachel, quitte son pavillon de la banlieue parisienne. Il veut savoir. Il veut comprendre.

Le massacre a-t-il été l’œuvre des islamistes ? Du pouvoir ? Sa mère et son père font partie des victimes.

Dans les papiers de ce dernier il découvre que celui-ci était un ancien officier nazi, qui après avoir fuit au lendemain de la guerre en Egypte a obtenu la nationalité algérienne pour avoir combattu avec l’ALN.
Le village de l’Allemand de Boualem Sansal : dans le chleuh de tes yeux

Rachel remonte le fil de l’histoire paternelle et se heurte à la Shoah. Il ne peut supporter d’être le fils d’un homme acteur de la Solution Finale. Il se suicide et laisse son journal à son jeune frère.

Malik vit aussi en banlieue, mais côté cité. Nadia vient d’y être assassinée par un barbu surnommé « l’Eradicateur d’Allah ». Depuis il n’a de cesse de dénoncer l’activisme des islamistes dans la ZUS.

Avec quel style, avec quelle force, avec quelle colère est dessiné ce dyptique représentant l’Algérie d’aujourd’hui. L’origine est clairement explicitée : (…) « un contexte socio-économique appelant à la jérémiade, à la vindicte, à l’accusation, à la surenchère.

Il y a le reste bien sûr, au second plan, l’histoire du pays, des ancrages dans de lointaines sectes qui ont traversé les siècles, des fables antédiluviennes chargées d’un ésotérisme nébuleux, des résonances et des dissonances curieuses avec ceci et cela, des théories perdues, des mythologies retrouvées, des philosophies nouvelles nées dans le feu de l’action, des rêves effervescents sortis droit de l’asile voisin ou du bar du coin et ce que le progrès technique et les révolutions scientifiques peuvent susciter d’appétit de puissance dans une société en mal d’elle-même »
.

Parmi les raisons qu’il y a à lire ce livre, la principale est que c’est un devoir civique et moral. Civique car le roman sera, à n’en point douter comme l’ont été les précédents, censuré et l’auteur menacé. Moral car il s’attaque au silence et à l’obscurantisme. Il pointe l’occultation de la Shoah dans les pays arabes. Malik écrit dans son journal « je ne pense pas que le gouvernement enseigne ces choses dans ses écoles, les enfants pourraient s’émouvoir, se prendre de sympathie pour le Juif, et de là appréhender certaines réalités. Je crois plutôt qu’il enseigne la haine du Juif et qu’il maintient les esprits fermés à toute lumière ». Cela il l’a bien compris et il peut lancer à l’imam de la cité : « si on avait le pouvoir sur terre, par quel génocide on commencerait ? »

Il faut saluer le courage de Boualem Sansal. Son roman tiré d’un fait réel est un coup de poing contre « la talibanisation des banlieues », le négationnisme, le jeu ambigu du pouvoir algérien. Pourquoi lire « le Village de l’Allemand » ? Rachel le dit page 57, « Ma propre humanité est en jeu ».

Le village de l’Allemand ou le journal des frères schiller
Boualem Sansal
Editions Gallimard
264 pages
17 euros

Article publié le 18/02/2008 à 09:40 | Lu 5275 fois