L’accueil de Mme Louis en maison de retraite (fiction)

L’Association Nationale de Formation en Gérontologie propose des formations pour les personnels de maisons de retraite. Pour ce faire, elle dispose de livrets de stages qui permettent aux employés de renforcer leurs compétences… Même si cela s’adresse aux professionnels, cet extrait est assez révélateur et instructif pour le grand public sur les difficultés rencontrées lors de l’accueil d’une nouvelle personne âgée dans une résidence.


Association Nationale de Formation en Gérontologie © AFNG
Arlette : « Bonjour, Mme Louise. Bienvenue dans votre chambre. Je suis Arlette, Aide-Soignante chargée par la Direction de l’établissement de vous accueillir. »
Mme Louise : « Bonjour Mme Arlette… » murmure-t-elle un peu intimidée.
A : « Votre médecin et votre petit-fils ont demandé que vous soyez inscrite (Arlette n’utilise jamais le mot « placée ») dans notre maison. A partir de maintenant, c’est la vôtre. Mais, dites-moi, je suppose que vous n’êtes pas très contente d’avoir quitté votre maison… ».

Arlette n’a pas attendu. Elle a saisi la tristesse dans les yeux de Mme Louise. Elle ne souhaite pas « faire comme si de rien n’était ».
 
Mme L : « Oh non…j’étais si bien chez moi, je ne voulais pas partir… J’ai tout laissé… »
A : « Vous avez l’impression d’être abandonnée… »

Arlette reformule ce qu’elle pense être les sentiments de Mme Louise. Même si ce n’est pas facile, elle préfère lui faire sentir qu’elle la comprend.
 
Mme L : « Oh oui, si vous saviez… »
A : « Vous devez penser que vous aurez du mal à vous habituer… »
Mme L : « C’est sûr… Il ne me reste plus qu’à mourir… Ils m’ont mise ici pour mourir… »

Arlette laisse Mme Louise finir ses phrases.
 
A : « Je comprends. Vous savez, Mme Louise, il va vous falloir faire des efforts pour vous adapter à cette nouvelle vie. Vous serez d’accord avec moi pour dire que dans la vie on n’a rien sans efforts ? »

Jusqu’ici, la stratégie d’Arlette était de laisser la tristesse de Mme Louise s’exprimer. Maintenant, la deuxième étape est d’amorcer une adhésion de Mme Louise aux options qui vont se présenter à elle.
 
Mme L : « Oui, mais quand même, à mon âge, après ce que j’ai vécu, j’aurais mérité de rester chez moi, bien tranquillement… »
A : « Mais oui, les choses ne se déroulent pas toujours comme prévu. Et c’est pour ça que nous sommes là, parce qu’il vous est arrivé quelque chose qui n’était pas prévu. Et notre travail, maintenant, c’est de faire en sorte que vous soyez ici le mieux possible, n’est-ce pas ?… »

Mme Louise s’effondre en sanglots. Pour Arlette, c’est aussi un moment difficile. Elle a préféré un « orage » tout de suite plutôt qu’une accumulation de rancœur dans l’esprit de Mme Louise.
 
Mme L : « Si vous saviez, ma petite…ils veulent m’enfermer là, vendre ma maison et se partager le pognon. Tous les mêmes…Et moi je peux crever… »
A : « C’est une épreuve difficile, Mme Louise. Je peux vous aider mais ne peux rien faire sans vous. Voulez-vous de mon aide pour passer ce cap difficile ? »
Mme L : « Ce n’est pas la peine… Jamais je ne pourrai m’y faire. Tout ce que je veux c’est retourner chez moi, dans ma maison. Ah si mon mari était là… »
A : « S’il était là, il vous dirait d’aborder les choses plus calmement, n’est-ce pas ? »
Mme L : « Oui... Peut-être… ».

Elle sanglote encore…

A : « Nous allons donc voir ensemble comment construire votre avenir. Sans vous je ne peux rien faire. Alors je peux compter sur vous ? »
Mme L : « Oh vous êtes gentille, ma petite. Vous vous donnez bien du mal pour une vieille femme comme moi… »
A : « Vous savez c’est un travail intéressant de faire en sorte que les gens vivent heureux ici, vous ne trouvez pas ? »
Mme L : «  Si, bien sûr… »
A : « Mme Louise, je vous laisse vous installer. Je serai de retour dans dix minutes et nous irons prendre une boisson chaude à la cafétéria… »
 
Comme vous pouvez le constater, Arlette n’a quasiment fait que poser des questions. Elle n’a pas énoncé « tous les avantages » de la maison. Ce qu’elle voulait, c’est avant tout indiquer à la résidente qu’elle comprenait son désarroi. Puis, elle l’a amenée à  réfléchir sur les buts de son séjour. Elle a utilisé les termes « nouvelle vie » et « vivre heureux ». Ensuite elle lui a fait comprendre que les choses ne pouvaient se faire que si Mme Louise faisait un effort pour s’adapter. Dix minutes plus tard, retour d’Arlette…
 
A : « Allons à la cafétéria. Je vous montre le chemin… »

Arlette choisit de ne montrer qu’un lieu à la fois.

A : « Ce bouton permet d’appeler l’ascenseur. Le voilà. La cafétéria est au 1er. Je vous laisse appuyer sur le 1 ? »

Arlette sait qu’il faut le plus possible laisser l’autonomie aux résident(e)s. Elle n’appuie donc pas sur le bouton 1.

A : « Ici, c’est un lieu collectif. Nous y déjeunons le midi et pouvons y prendre une boisson chaude l’après-midi. Ici, vivent 60 résident(e)s. Chacun écrit son plat favori et le chef fait en sorte que tout le monde soit content. Y-a-t-il des plats que vous aimez particulièrement ? »
Mme L : « Oui, la daube, j’adore la daube. Autrefois, pour les communions, c’était toujours moi qui la faisait… »
A : « Au restaurant, nous avons un cahier de suggestions. Il permet à chacun de faire des remarques pour améliorer la cuisine. Trouvez-vous que c’est une bonne idée ? »
Mme L : « Oui… mais moi par exemple, je n’aime pas le poisson, ça me donne des aigreurs… »
A : « Il vous faudra donc regarder le menu. Vous pouvez demander à changer avant 11H00 et donc remplacer le poisson par de la viande. Cela vous convient ? »
Mme L : « Oui… »
A : « J’ai une autre question Mme Louise : est-ce que vous pensez que c’est important de ne pas se laisser aller ? »
Mme L : « Oui, pourquoi ?… »
A : « Tous les matins à 11H00, nous avons une séance de remise en forme dans cette salle. Le groupe attend de faire votre connaissance. Voulez-vous que je passe vous chercher vers onze heures moins le quart ou moins dix ? »

Vous l’aurez remarqué, Arlette « force un peu la main » de Mme Louise. Elle pense qu’il est très important pour les résident(e)s de participer aux activités dès l’entrée en établissement. Toutefois, si Mme Louise était réticente, elle lui proposerait d’y participer plus tard.
 
Mme L : « Oh plutôt moins le quart… »
A : « Très bien, je serai là. Je le note sur ce planning, qui sera accroché à la porte de votre chambre. Le petit déjeuner est servi en chambre entre 7H00 et 7H30. Je serai là pour vous aider à la toilette. Dites-moi, Mme Louise, est-ce que vous pensez que l’on peut faire de la toilette un bon moment ? »
Mme L : « Je ne sais pas… »
A : « Si je vous ai demandé cela, c’est parce que dans cette maison nous pensons qu’il est important que l’aide à la toilette soit un moment agréable. Pensez-vous que c’est possible ? »
Mme L : « Oui, si il ne fait pas trop froid… à l’hôpital l’eau était trop froide et il fallait toujours se dépêcher… »
A : « Donc si nous prenons le temps et que la température de l’eau vous convient, ça devrait bien se passer n’est-ce pas ? »

Si Arlette insiste sur l’aide à la toilette, c’est parce qu’elle sait que ce n’est pas toujours un moment bien vécu par les résident(e)s pour diverses raisons. Elle tient donc à « anticiper » sur d’éventuels problèmes.
 
Mme L : « Oui, bien sûr… »
A : « Une dernière chose, Mme Louise, je vous présenterai tout à l’heure à Jeanine, l’animatrice. Tous les après-midi, elle organise des activités à partir de 15h. Nous vous avons réservé une place afin que vous puissiez choisir parmi toutes ces activités, celle(s) qui vous plaira ou plairont le plus. Ce serait quand même dommage de ne pas en profiter, n’est-ce pas ? »
Mme L : « oui… euh… c’est obligatoire ? »
A : « Vous pensez que l’on va vous obliger à faire des choses que vous n’aimez pas ? »

Arlette a pris l’habitude de répondre à une question par une autre question. Elle trouve que cela ne marche pas « si mal » avec les résident(e)s.

Mme L : « je ne sais pas… »
A : « Ici, Mme Louise, chaque personne est libre de choisir les activités qui lui plaisent. Comme je vous l’ai dit, notre travail consiste à faire en sorte que les résidents vivent ici la vie la plus heureuse possible. Vous êtes prête à nous aider ? »
Mme L : « euh…oui. »
A : « Merci pour cette réponse. Je viendrai vous voir à 17H00, après le goûter pour faire avec vous le point sur cette première journée. A plus tard, Mme Louise… »

Ici Arlette a insisté sur trois points qui peuvent poser problème : les repas, la toilette et l’animation. Elle a reprécisé le rôle de l’institution : faire en sorte que les résidents aient la vie la plus heureuse possible et le rôle du personnel : les y aider. Elle a, à nouveau, précisé que rien n’est possible si le résident n’y « met pas du sien ». Elle sait qu’elle a trois semaines pour réussir l’intégration de Mme Louise. Passé ce délai, les « bonnes » comme les « mauvaises » habitudes seront prises… 

Publié le 08/10/2014 à 14:00 | Lu 1505 fois