Habitat social et senior : regards croisés entre Michèle Delaunay et Jean-Louis Dumont

A l’occasion du lancement du Prix de la meilleure initiative de l’Union sociale pour l'habitat (USH), organisme HLM, Michèle Delaunay, ministre en charge des Personnes âgées et Jean-Louis Dumont, président de l’USH, reviennent sur les enjeux posés par le vieillissement des populations et sur le terrain privilégié que constitue le logement social pour expérimenter des solutions innovantes. Regards croisés.


En matière d'urbanisme, d'habitat et de politiques sociales, quelles reconfigurations impose le vieillissement des populations ? Dans quelle temporalité doivent-elles s'inscrire ?

Michèle Delaunay : notre société ne doit pas seulement affronter le défi de la transition écologique. Elle doit aussi répondre à celui de la transition démographique.
 
Pour la première fois, notre pays comptera plus de 20% de sa population dans le champ de l'âge. Cela implique de repenser toutes les politiques publiques. Le logement, le transport, l'urbanisme, car il faut repenser l'organisation de nos villes, adapter nos habitats, améliorer les transports pour que tout ce qui nous permet d'être en prise avec la société soit pensé en fonction des besoins des âgés pour plus d'autonomie et moins de fragilités.
 
Au-delà, l'enjeu sociétal est de tout premier ordre : pour la première fois dans l'histoire de l'Humanité, quatre générations vont se côtoyer. Le pacte social va donc se trouver interrogé, questionné sur l'intergénération à l'école, dans l'accès à la culture, aux loisirs, au tourisme et même dans la transmission de la mémoire. Une société qui oublierait ses âgés perdrait autant qu'une société qui ne ferait rien de l'urgence climatique.
 
Jean-Louis Dumont : l'adaptation de notre société au vieillissement constitue un enjeu fondamental et un défi que nous devons relever collectivement dans une échéance courte. En 2060, les plus de 60 ans seront 23,6 millions sur une population totale estimée à 73,7 millions. La part des plus de 75 ans va doubler entre 2007 et 2050, et celle des plus de 85 ans va tripler.
 
La société se doit de préserver la mobilité des personnes âgées, pour qu'elles continuent à accéder librement aux services dont elles ont besoin, et garantir leur participation à la vie de la Cité. Ceci nécessite d'agir à la fois sur le produit logement et sur son environnement via des politiques urbaines d'envergure (adapter les transports, favoriser l'émergence d'une offre de logements adaptés, intégrer un volet vieillissement dans les programmes locaux de l'habitat et dans les futurs plans de gestion partagée de la demande de logement social, etc.).
 
Il s'agit également de développer et de démocratiser les services favorisant le maintien à domicile pour appuyer les familles. Les organismes Hlm prendront toute leur part dans ce grand projet, mais nous aurons aussi besoin des collectivités locales et de l'ensemble des acteurs du champ médico-social auxquels nous ne pouvons et ne voulons nous substituer.
 
En quoi le logement social est-il un terrain d'expérimentation privilégié des solutions d'accompagnement au vieillissement ?

M. D. : pour deux raisons majeures. D'abord, les bailleurs sociaux accueillent déjà près de 25% de personnes âgées parmi leurs locataires et cette proportion sera bientôt plus forte avec les arrivées successives dans l'âge de la retraite. Les personnes qui y vivent sont bien souvent là depuis longtemps et ont vécu l'avènement de l'esprit du Mouvement Hlm, ce souhait de vivre ensemble, dans des quartiers nouveaux, bien pensés, sans être exclus. C'est cet esprit qui est à l'oeuvre dans tous les projets d'habitats regroupés innovants menés par les bailleurs sociaux et que j'ai pu voir.
 
La deuxième raison est que le parc social est en capacité de faire une place à tout le monde, même aux publics fragiles. Or, les fragilités que peuvent présenter les âgés sont particulières : besoin d'un logement accessible, besoin de lien social, besoin d'accès à l'information, besoin d'accompagnement... Tout cela, les bailleurs sociaux ont la capacité d'y répondre, puisque c'est, si je puis dire, « dans leurs gênes ». Je compte donc sur eux pour que l'avancée en âge soit heureuse dans le parc social.
 
J.-L. D. : C'est donc un enjeu de qualité de service que de garantir à ces locataires la pleine jouissance de leur logement à une nouvelle étape de leur vie. Comme Mme la Ministre le note, les organismes se sont souvent investis pour prendre en compte ces occupants. Ils ont ainsi intégré cette dimension dans leurs plans stratégiques du patrimoine, la plupart ont adapté leurs modes de gestion, sensibilisé et formé leurs collaborateurs. Le label « Habitat Senior Service », promu par l'association Delphis et mis en oeuvre par 26 organismes de logement social, est de ce point de vue tout à fait emblématique, mais Il y a de nombreuses autres initiatives dont se fait régulièrement écho la presse : résidences intergénérationnelles, béguinages, réseaux de services en lien avec des entreprises et des associations partenaires, etc.
 
Par ailleurs, au-delà de la question du type logement et de l'accompagnement, une question économique est posée. En effet, tout laisse à craindre que la part des petites retraites va croître dans les années à venir et que certains actifs, aujourd'hui logés dans le parc privé, se tourneront alors vers le parc social. C'est là un type de demandes pour lequel nous devons développer une réponse adaptée, c'est pleinement notre mission.
 
Quels sont les bénéfices attendus du concours créé en partenariat avec la CNAV à destination des organismes Hlm ?

M. D.
: Si Cécile Duflot et moi-même avons souhaité lancer ce prix, c'est parce que nous avons la certitude que beaucoup d'initiatives ont déjà été lancées et que maintenant il faut référencer tout cela. Pour pouvoir l'analyser et pour faire partager les projets aux autres bailleurs sociaux. Toutes sont intéressantes et méritent d'être connues et reconnues.
 
C'est ainsi que nous montrerons que l'adaptation du parc social aux besoins des âgés nécessite certes des travaux de mise en accessibilité, mais peut-être aussi et surtout des initiatives de bon sens, humaines et répondant aux besoins des territoires. Cela permettra peut-être à certains bailleurs de se rendre compte que, comme Monsieur Jourdain, ils font de l'adaptation sans le savoir, cela les incitera à modéliser un peu plus leur action ! Et j'espère aussi que ce prix éveillera un intérêt chez certains !
 
Je suis donc très heureuse que l'Union sociale pour l'habitat ait décidé de communiquer largement sur ce prix et de créer une banque de données sur son site afin que les autres bailleurs sociaux puissent venir se nourrir de projets déjà mis en place. C'est de cette valorisation de l'existant que nous pourrons faire naître des initiatives encore plus belles.
 
J.-L. D. : Le concours est pour nous l'occasion de capitaliser les savoir-faire, de valoriser nos actions, de tirer les enseignements des expériences menées et ainsi d'amener nos partenaires à s'adapter. La mise en lumière de tous ces projets alimentera nos futures réflexions et nous permettra, je l'espère, de développer de nouvelles solutions et, si besoin, de faire évoluer la règlementation pour l'adapter aux besoins réels.
 
Pour préparer nos contributions au projet de loi d'orientation et de programmation de l'adaptation de la société au vieillissement, nous avons d'ailleurs mis sur pied un groupe de travail composé des Fédérations et d'une quinzaine d'organismes Hlm pour clarifier la notion de « logement dédié aux personnes âgées » et progresser dans l'identification des demandeurs seniors et la réponse apportée.

Article publié avec l'aimable autorisation de l'Union Sociale pour l'Habitat

Publié le 02/04/2014 à 09:04 | Lu 1702 fois