Gouvernement Fillion : où sont les vieux ? Chronique de Serge Guérin

A mal nommer les choses, on rajoute de la misère au monde, disait Camus. Ne pas nommer du tout c’est nier le sujet, nier les personnes, nier les réalités. Or, la nouvelle équipe gouvernementale se caractérise par l’absence de toute référence aux personnes âgées (ou aux aînés ou aux vieux, comme on voudra). Nous disposons d’une ministre de plein exercice pour le sport, d’une secrétaire d’Etat pour la jeunesse mais rien pour la question des ainés et de l’intergénération. Cherchez l’erreur !


Pourtant, nous sortons d’une longue séquence sur les retraites où l’allongement de la vie et la hausse du nombre de seniors fut constamment mise en avant par le gouvernement. Sous un angle systématiquement négatif et dramatisé….

Rappelons aussi que lors de la campagne présidentielle de 2007, le candidat Sarkozy s’était engagé à proposer des mesures en faveur de la prise en charge collective de la perte d’autonomie…

Faut-il rappeler que les plus de 60 ans sont passés de neuf millions de personnes avant 1980, à quatorze millions aujourd’hui, avant de compter pour plus de dix-sept millions en 2020 ? Faut-il rappeler que les plus de 85 ans seront en 2050, quatre fois plus nombreux qu’aujourd’hui ?

On ne peut construire une France d’avenir sans prendre en compte la question senior, non pour se faire peur mais pour répondre aux enjeux, prévoir les moyens nécessaires et accompagner les personnes dans leur « troisième mi-temps » de vie. La révolution démographique, pour peu que l’on sache y faire face et faire évoluer les représentations, n’est pas un risque mais bien une chance. Elle oblige à penser une société plus douce à vivre pour l’ensemble des personnes en situation de vulnérabilité : petites enfance, jeunes en ruptures scolaires, personnes âgées, handicapées, fragiles psychologiquement…

Mais la compréhension des enjeux de la seniorisation de la société conduit aussi à repenser les hiérarchies des métiers pour valoriser, c’est-à-dire mieux payer et mieux former, celles et ceux qui au quotidien accompagnent avec bienveillance, prennent soin avec compétence, des personnes en fragilité. Le rôle d’un ministère devrait aussi être d’accompagner les formes multiples de solidarité pratiqués par les aînés auprès de l’ensemble des générations. Faut-il ainsi passer sous silence ces quatre millions de personnes, dont une majorité d’âgées, qui pratiquent le don de soi par l’accompagnement bénévole à des personnes très vieillissantes ou touchées par des maladies chroniques ?

Faut-il oublier ces millions de plus de 60 ans, considérés comme des « inactifs » mais animent les associations, viennent accompagner et soutenir des enfants, des jeunes et des adultes dans leur apprentissage ou leur vie quotidienne ? Ils montrent qu’il n’y a pas de fatalité à l’égoïsme social et qu’une société ne se résume pas à des actifs en bonne santé passant leur vie à consommer.

Pour autant, dans son intervention télévisée, le président de la République a largement évoqué la question du « 5ème risque ». Les mots ayant de l’importance, je crois qu’il est préférable de parler de « 5ème pilier de la sécurité sociale » ou encore « nouvelle élargissement de la protection sociale », car cela permet d’inscrire dans un mouvement plus large, dans une progression sociale.

Car cette question, centrale, symbolise le contenu que nous voulons collectivement donner à la solidarité avec les plus âgées, avec les plus fragiles, avec ceux qui sont en situation de handicap. C’est un sujet sur lequel nous reviendrons. Ce n’est pas un débat technique mais bien un débat de société qui posera d’abord la question des solidarités intergénérationnelles

Serge Guérin, professeur à l’ESG
Dernier ouvrage publié De l’état providence à l’état accompagnant Michalon, 2010
Serge Guérin, copyright S. Ortola

Publié le 22/11/2010 à 08:42 | Lu 1838 fois