Gerontophilia : amours homosexuelles transgénérationnelles (film)

Le dernier long-métrage de Bruce LaBruce intitulé Gerontophilia est sortie –discrètement- dans les salles le 26 mars 2014. Le sujet ? Un jeune homme de 18 ans travaillant dans une maison de retraite tombe amoureux d’un pensionnaire de 82 ans… Amours homosexuelles transgénérationnelles !


Voici une « comédie romantique » pour le moins étonnante, voire déroutante !
 
En effet, Gerontophilia aborde un sujet triplement tabou : la sexualité des seniors d’une part, l’amour entre une jeune personne et une personne âgée d’autre part et de surcroit, les amours homosexuelles entre un jeune homme et un vieux monsieur !
 
Bref, tout pour rendre ce long-métrage particulièrement hors-normes !
 
Avant d’aller plus loin, et comme le rappelle un récent article du Figaro : en 1981, le psychiatre John Money, spécialiste de l’identité sexuelle, définissait la gérontophilie comme suit : « Condition d’un jeune adulte pour qui une activité érotico-sexuelle –réelle ou fantasmée– avec une partenaire beaucoup plus âgé est nécessaire pour déclencher un orgasme ».
 
L’histoire ? Lake est un jeune homme de 18 ans plutôt mignon. Il vit avec sa mère (légèrement  dérangée) et sort avec une jolie jeune fille de son âge… Jusqu’au jour où il découvre que non seulement il est attiré par les personnes du même sexe que lui, mais qu’en plus, il les aime plus âgées… Voire même très âgées ! Tout va basculer le jour où embauché dans une maison de retraite, il  tombe amoureux de Monsieur Peabody, un résident de 82 ans.

Interview de Bruce LaBruce

Comment est née l’idée de Gerontophilia ?

Gerontophilia a commencé avec la fascination que j’ai eu pour certaines personnes que j’ai rencontrées dans ma vie qui vouent un culte particulier, parfois pour des objets de fétichisme très spécifiques.
 
Je suis ami avec Mark Ewert qui lorsqu’il était adolescent avait été l’amant de William Burroughs et Allen Ginsberg. Il était ado et ils avaient 70 ans. Et j’ai toujours été fasciné par sa relation avec eux. Il avait une admiration et un respect immense pour ces grands artistes, mais c’était aussi une attirance sexuelle.
 
Je connaissais aussi un type à New York qui était un grand garçon noir magnifique qui avait 19 ou 20 ans et avec qui tout le monde voulait coucher, mais il n’était juste intéressé que par des bears blancs et juifs qui avaient plus de 50 ans. Exclusivement. C’était son fétiche. Les fétichistes sont très mystérieux et m’ont toujours intéressé. Personne ne sait d’où ils viennent mais ils sont toujours spécifiques. Et il y a des gens qui font une fixation sur les grands-pères, il y a des gérontophiles, c’est dans le dictionnaire.
 
Dès le début vous vouliez faire un film plus grand public ?

Oui. L’idée dès le départ était de faire un film plus accessible et narratif, qui pouvait plaire à un public plus large que celui de mes oeuvres pornographiques. J’aurais pu faire un film porno qui s’appelle Gerontophilia et je pourrais toujours. Ça aurait été un film complètement différent, mais c’est très difficile de caster de très bons acteurs qui feraient aussi de la pornographie. C’est le dilemme de tout réalisateur qui veut faire du porno, et tout le monde aimerait en faire. Enfin peut-être pas tout le monde mais j’ai rencontré beaucoup de réalisateurs qui en avaient envie. Paul Verhoeven m’a dit qu’il adorerait en faire un. Gaspar Noé projette d’en faire un aussi.
 
Quelle est la différence principale entre ce film et vos précédents ?

L’idée c’était donc de faire un film sans contenu sexuellement explicite. J’ai déjà fait sept films et je crois que dans chacun d’eux il y a des scènes de sexe explicites, certains même d’entre eux sont des films pornos, ou des fois j’ai fait une version hard et une soft du même film et je les ai sortis avec différents distributeurs sous différents titres.
 
Pour celui-ci je voulais autre chose, mais l’idée c’était quand même de choisir un sujet qui soit cohérent avec mes précédents travaux. Mes films parlent habituellement de personnages qui n’arrivent pas à s’intégrer, de marginaux, des gens qui vont à l’encontre de la société, des rebelles, qui sont radicaux et subversifs. Des gens qui s’imaginent comme des révolutionnaires. S’ils en sont vraiment, ça c’est une autre question. J’ai donc choisi Gerontophilia car c’était cohérent avec les thèmes et les personnages de mes autres films.
 
Comment s’est passée la rencontre avec Pier-Gabriel et pourquoi l’avoir choisi ?

Le casting a été difficile car le challenge était de rendre crédible une relation entre un jeune homme de 18 ans et un homme de 80 ans. Je voulais choisir des acteurs très similaires aux personnages que j’avais écrits même s’ils n’avaient pas tout à fait le même âge. Donc je cherchais quelqu’un de très jeune et quelqu’un qui avait autour de 80 ans.
 
On a auditionné 25 personnes pour le rôle de Lake. Et quand Pier-Gabriel est arrivé, j’ai été frappé par la ressemblance avec le personnage que j’avais écrit. Il est très beau, très jeune, innocent : juste avant qu’on commence à tourner, il m’a demandé ce qu’était un fétichisme. Il est hétéro mais très ouvert d’esprit, il était curieux sur son personnage et voulait vraiment savoir non seulement pourquoi le personnage était attiré par un autre homme, mais aussi par une personne âgée. Et il a énormément creusé pour trouver ça en lui-même.
 
Et M. Peabody ?

Walter Borden est un acteur de théâtre très réputé au Canada. Il a toujours été là depuis les années 60, il a été un activiste noir et un activiste gay. Il a probablement été le seul Black Panther du Canada à cette époque, il a l’équivalent de la Légion d’honneur au Canada. C’est un gentleman qui a vécu plein de choses, un peu un dandy aussi. Il est très lettré, il a étudié Shakespeare à Stratford pendant cinq ans.
 
Et je ne voulais pas seulement prendre un acteur qui avait 80 ans mais aussi qu’il soit gay. Je voulais un acteur qui puisse comprendre la position complexe du personnage. Il est vieux et seul, sa famille l’a abandonné. Il est d’une génération particulière, où il n’y a pas vraiment d’assistance pour les personnes âgées gay. Walter a été aussi extrêmement généreux en tant qu’acteur, en se mettant à nu, dans tous les sens du terme, en montrant son corps et en se moquant de le faire à son âge, et ça a été un vrai plaisir de travailler avec lui.
 
Et lui et Pier-Gabriel ont formé un vrai lien en dehors de l’écran. Entre les prises ils étaient toujours en train de parler et de rigoler.
 
Le film est aussi très esthétique...

J’ai toujours essayé de rendre mes films les plus esthétiques possible, j’apporte toujours beaucoup de soin à la « mise en scène » mais parfois j’ai clairement ressenti les contraintes budgétaires. Le truc est de le prendre à son avantage et de développer une esthétique qui fonctionne avec le budget, mais parfois j’ai été frustré de devoir travailler avec des micro-budgets.
 
Pour Gerontophilia, j’ai eu pour la première fois un budget supérieur à un million de dollars et je voulais faire quelque chose de plus esthétique car j’avais plus de liberté, une très bonne caméra, un excellent chef opérateur, Nicolas Canniccioni, qui travaille beaucoup avec la lumière naturelle et qui est un maître de la lumière. L’idée était donc de faire le film le plus beau possible avec mon budget.
 
Il y a beaucoup d’humour et de second degré dans le film

Dans Gerontophilia il y a une certaine ironie dans le fait que ce jeune homme sublime, que tout le monde trouve désirable et qui pourrait avoir n’importe quelle personne de son âge, choisisse ce mec de 81 ans. Et je joue beaucoup avec les conventions de la comédie romantique. Il y a ce montage quand ils vont marcher dans le parc avec la musique romantique de Chilly Gonzalez...
 
Mais pour moi, même s’il y a une douce ironie à utiliser les codes de la comédie romantique du cinéma hollywoodien, je les utilise sans les altérer, et l’ironie est déjà présente dans le fait que le couple qui s’aime n’est pas conventionnel.
 
On pense forcément aussi à Harold et Maud...

Je suis un grand fan de Harold et Maud, et j’aime beaucoup les films de Hal Ashby, Bienvenue Mister Chance, La Dernière corvée, Shampoo. Mais Harold et Maud n’était pas le modèle approprié pour ce que j’avais en tête car c’est l’histoire d’un jeune homme un peu marginal qui tombe amoureux d’une vieille dame non pas parce qu’elle est vieille mais malgré qu’elle soit vieille.
 
Maud a un esprit jeune, elle est fougueuse, elle est belle. Mais d’une certaine manière Harold n’est pas un gérontophile classique. Ce n’est pas un fétichiste, il est juste tombé amoureux d’une femme plus âgée.
 
Pour Gerontophilia je voulais que mon personnage ait ce fétichisme, qu’il soit vraiment gérontophile. Que son objet du désir soit les personnes âgées. C’est pour ça qu’il a ce carnet dans lequel il dessine des vieux hommes ou des vieilles femmes. Finalement quand j’écrivais le scénario, j’avais plus en tête l’idée d’un Lolita inversé. Plutôt que d’avoir un homme plus âgé qui aurait une fixation sur une adolescente, je voulais qu’il y ait un adolescent qui ait cette fixation pour un homme plus vieux. Ce qui met M. Peabody dans le rôle de Lolita.
 
Gerontiphilia de Bruce LaBruce
Avec Pier-Gabriel Lajoie, Walter Borden, Katie Boland plus


Publié le 11/04/2014 à 05:00 | Lu 3867 fois





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