Fleurs d’équinoxe : conflit intergénérationnel dans le Japon des années 50 (film)

Le long-métrage Fleurs d’équinoxe (1958), premier en film en couleur du célèbre cinéaste Yasujiro Ozu, ressort sur les écrans français dans une version restaurée DCP numérique le 22 janvier prochain. Une belle occasion de redécouvrir cette chronique familiale émouvante dans laquelle un père de famille est tiraillé entre conservatisme et progressisme.


L’histoire ? Un groupe d’anciens amis se retrouve autour d’un verre de saké et discute de l’avenir de leurs filles, désormais en âge de se marier.
 
L’un d’eux, Wataru Hirayama, est un cadre supérieur fermement attaché à ses valeurs conservatrices, mais tenant parfois auprès de ses amis un discours progressiste sur l’amour et le mariage.
 
Un jour, un jeune homme se présente à son bureau : il se nomme Masahiko Taniguchi et demande la main de Setsuko, sa fille aînée. La décision d’Hirayama est sans appel : il refuse que sa fille épouse l’homme qu’elle aime…
 
Premier film en couleurs de Yasujiro Ozu, Fleurs d’équinoxe brosse un émouvant portrait de père de famille tiraillé entre conservatisme et progressisme dans le Japon des années 50. Le réalisateur du Goût du saké renoue ici avec les thèmes qui lui sont chers –la famille et la question de la filiation, l’abandon des traditions– en se plaçant ici du point de vue des parents.
 
Le personnage d’Hirayama observe avec nostalgie la transformation de son quotidien, sans qu’il n’ait d’autre choix que d’évoluer lui aussi. Fidèle à sa mise en scène minimaliste, le cinéaste nippon opte cette fois-ci pour un ton plus léger, humoristique par endroits, loin des mélodrames qui ont pu faire sa renommée (Il était un père, Crépuscule à Tokyo). Fleurs d’équinoxe prouve une nouvelle fois le génie du maître japonais, annonçant ses chefs-d’oeuvre en couleurs à venir !
 
« Ozu est comme un mathématicien. Il connaissait très bien la vie des Japonais et les a représentés dans son oeuvre. C’est comme s’il les analysait de façon détachée. C’est pour cela que j’ai employé le terme "mathématicien". Il utilisait toujours la famille comme toile de fond et décrivait la relation entre deux générations » dit de lui Hou Hsiao-hsien
 
Rappelons que la fleur rouge qui prête son nom au film est une espèce emblématique du Japon appelée « higanbana », que l’on pourrait traduire par « fleur d’équinoxe ». Également surnommée la « fleur aux 600 noms », elle a pour particularité de fleurir à proximité des cimetières durant l’équinoxe d’automne. De fait, cette fleur d’équinoxe est fortement liée à la tradition, à la mort et à la séparation définitive. Cette symbolique se retrouve chez Ozu à travers la séparation du père d’avec sa fille et le passage de relais d’une génération à une autre.
 
D’un point de vue purement esthétique, la couleur rouge de cette fleur est régulièrement présente tout au long du film : le rouge de la théière, le rouge des lèvres des jeunes filles, celui des habits de la fille cadette d’Hirayama… La fleur d’équinoxe est connue pour être une source d’inspiration pour les poètes japonais, elle l’est également pour le cinéma d’Ozu.
 
Le réalisateur nippon est célèbre pour sa technique des plus singulières, caractéristique de son travail. En effet, celui-ci avait pour habitude de filmer « au ras du tatami » en multipliant les plans fixes au niveau de l’oeil d’une personne assise par terre. Pour ce faire, il utilisait un trépied situé à 90 cm du sol, forçant le caméraman à s’allonger pour voir dans son viseur. Avant chaque prise, Ozu choisissait le cadrage –les assistants avaient alors interdiction d’y toucher– puis plaçait les acteurs dans le champ. Chaque prise était précisément minutée car Ozu avait pour habitude de mesurer le temps de la façon la plus exacte possible –il minutait même les rushes !
 
Comme indiqué précédemment, Fleurs d’équinoxe marque une grande évolution dans la carrière d’Ozu : c’est la première fois qu’il tourne en couleurs, à l’aide d’une caméra Agfa Color. Bien que le réalisateur ait longtemps refusé d’abandonner le noir et blanc, ce nouveau procédé lui a été imposé par les studios de la Shochiku, lesquels souhaitaient mettre en valeur leur nouvelle recrue, l’actrice star Fujiko Yamamoto (Yukiko dans le film). Ce recours tardif à la couleur aura donné naissance à quelques-uns des chefs-d’oeuvre du maître nippon (Bonjour, Le Goût du saké).
 
Fleurs d’équinoxe (Higanbana) de 1958
117 mn, Couleurs
Un film de Yasujiro Ozu avec Shin Saburi, Kinuyo Tanaka, Ineko Arima, Yoshiko Kuga, Keiji Sada, Chishu Ryu, Fujiko Yamamoto
D’après l’oeuvre de Ton Satomi

Publié le 17/01/2014 à 11:01 | Lu 799 fois