Dépendance : inquiétude sur le triple A, chronique d’Yves Vérollet, directeur général de l'UNA

Michèle Delaunay, ministre des personnes âgées et de l’autonomie, a inauguré le 9 septembre 2013 le train « Bien vivre… toute sa vie » à Paris. « Les différents partenaires ont présenté leurs initiatives et projets partageant tous le même objectif : aborder de façon positive l’avancée en âge et se donner les moyens de garantir son bien-être », indique le site du ministère.


Dépendance : inquiétude sur le triple A, chronique d’Yves Vérollet, directeur général de l'UNA
Le 18 juillet, à Bourg en Bresse, la ministre a lancé officiellement l’outil Mobiqual pour la prévention du suicide et de la dépression chez les personnes âgées, à domicile.
 
Réalisée par la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG), cette mallette propose aux aides à domicile des fiches pratiques et deux DVD pour les aider à déceler les symptômes de la dépression chez les personnes âgées dont ils s’occupent. UNA a participé de manière importante aux travaux. Parallèlement Madame Delaunay a lancé et encourage les travaux qui traitent de la prévention de la perte d’autonomie.
 
Cet été, la ministre s’est beaucoup exprimée sur les conséquences du vieillissement. « Les âgés vivent plus vieux et sont plus nombreux à le faire. Ils sont majoritairement en bon état et désireux d'être plus que d'avoir été ». « C’est (…) un afflux d’âgés, très majoritairement en bon état, dont va bénéficier notre pays si nous savons le préparer et le concevoir » écrit-elle. Pour la ministre, deux piliers majeurs à ce bénéfice collectif : le rôle des âgés dans la cohésion sociale et la « silver économie », l’économie au service de l’âge et de l’autonomie ». UNA pilote un des groupes de travail lancé par la Michèle Delaunay sur la Silver économie.
 
L’éditorial d’UNA n’est pas devenu celui du ministère des personnes âgées et de l’autonomie. Si nous citons madame Delaunay, c’est parce que nous partageons ses analyses sur la prévention, les gérontechnologies et elle le sait. Et pourtant, dans le même temps, une inquiétude commence à nous gagner. Et si, comme en, 2007, en 2008, et encore plus en 2011, les besoins de réforme de la partie « hard » du vieillissement, celle de la perte d’autonomie, celle des GIR qui nécessitent une présence humaine auprès des personnes dépendantes était une nouvelle fois reportée pour financement introuvable ? A ne jamais entendre parler du financement par les responsables publics, les moins optimistes d’entre nous pourraient conclure que le mauvais film joué depuis 2007 va encore resservir…
 
Oui, nous savons et nous l’avons écrit que nous ne sommes pas à la veille d’une grande déferlante de personnes âgées en perte d’autonomie. Nous savons aussi que les années gagnées en espérance de vie n’augmentent pas les temps de dépendance, même si quelques signes peuvent laisser entrevoir des évolutions moins favorables. Les projections démographiques n’annoncent aucun bouleversement. Le rapport piloté en 2011 par M. Charpin faisait l’hypothèse dans son scénario central de 1.550.000 personnes dépendantes en 2030 (1.2 m aujourd’hui).
 
Nous savons que nous ne sommes pas non plus au bord d’une asphyxie financière due à ce déferlement qui n’existe pas. Le défi financier est à relativiser. L’intervention publique en direction des personnes âgées en perte d’autonomie représentait en 2010 environ 24 milliards d’euros (rapport piloté par B. Fragonard en 2011). Dans le rapport Charpin, cité plus haut, d’ici 2025, dans le scénario central, nous passerions de 1,22 point de PIB à 1,37 point. Sans donner trop de chiffres, 0,15 point de PIB, c’est environ trois milliards d’euros, A comparer aux 180 milliards de consommation médicale ou encore aux 300 milliards d'euros au titre des régimes vieillesse ! L’enjeu du vieillissement porte bien plus sur le financement des retraites que sur celui de la perte d’autonomie.
 
Notre fédération ne réduit pas la question du vieillissement à la dépendance. Nous avons dit notre accord avec les orientations qui semblent se dessiner pour l’éventuelle future loi, non présente sur l’agenda des assemblées et qui se retrouvent dans le triple A ministériel souvent avancé : anticipation/prévention, adaptation et accompagnement. L’un des aspects importants est dans l’investissement que notre pays fait et fera en direction de l’habitat et du cadre de vie (adaptation au vieillissement).

UNA : Union Nationale de l’Aide, des Soins et des Services aux Domiciles
 
Le « A » de l’adaptation n’est pas le cœur de cible de notre fédération. Sur l’anticipation et l’accompagnement, nous avons en revanche pleine compétence. Ce triple A passera-t-il l’épreuve des rapports et des intentions pour se traduire dans la réalité ? Notre fédération doute et attend désormais des déclarations fermes du gouvernement quant à ses intentions véritables.
 
Sur l’anticipation / prévention

La plupart des maladies, source de la dépendance et dites liées à l’âge ont des facteurs de risque modifiables. La prévention pourrait les éviter dans un grand nombre de cas. A la « mortalité évitable », qui est, depuis longtemps, une cible première des politiques de prévention, pourrait donc être associée la lutte contre « les incapacités évitables ». De même nous savons que les stratégies de prévention ont tendance à toucher prioritairement les catégories sociales qui en ont le moins besoin. Gagner globalement des années d’espérance de vie en bonne santé, c’est donc s’efforcer en priorité d’atteindre les catégories sociales les moins accessibles aux messages de prévention. Cibler les actions sur les populations vulnérables ou fragiles, comme vient de le décider la CNAV et les autres caisses de retraite, rencontre notre adhésion. Malgré tous les travaux en cours, les ambitions affichées par le ministère des personnes âgées ne seront en revanche pas crédibles si les financements de l’action sociale de la CNAV restent à leur niveau actuel. Le résultat des discussions autour de la convention d’objectifs et de gestion (COG) sera déterminant pour connaître la ligne de conduite du gouvernement sur la prévention. Laisser les GIR 5 et 6 dans les caisses est judicieux si elles ont les moyens d’agir sérieusement. La prévention ne se résume certes pas à l’action sociale des caisses mais elle en constitue une part primordiale.
 
Sur l’accompagnement et son financement

Le gouvernement a décidé d’accompagner la réforme entreprise par les fédérations et l’ADF. L’installation du comité national de pilotage par Mesdames Carlotti et Delaunay et Monsieur Lebreton, le président de l’ADF est un sérieux encouragement à passer la vitesse supérieure pour multiplier le nombre de départements expérimentateurs. Mais il ne faut pas se leurrer. Au-delà d’une meilleure organisation entre les conseils généraux et les services, des besoins financiers supplémentaires sont nécessaires :

- pour les personnes en perte d’autonomie
La couverture de la grande dépendance est très insuffisante. Le reste à charge est trop important pour un nombre croissant de personnes et l’allocation personnalisée d’autonomie à domicile ne permet plus de répondre suffisamment aux besoins des personnes. Pour UNA, il s’agit de renforcer un financement basé avant tout sur la solidarité nationale. Il faut en même temps entreprendre un rééquilibrage entre la part financée nationalement et la part locale.
 
Enfin, les caisses de prévoyance, les mutuelles proposent de plus en plus des « produits » dépendance. Si l’on ne veut pas que se recréent les mêmes inégalités que dans la couverture complémentaire santé, aboutissant dans quelques années à la création d’une CMU dépendance, le gouvernement doit indiquer comment il compte intervenir dans ce secteur et le réguler. Luc Broussy, dans son rapport du début de cette année parle de la « nébuleuse de la protection sociale complémentaire et de l’assurance ». Ce monde, largement dominé par l’économie sociale et solidaire, peut jouer un rôle non négligeable dans l’accompagnement du vieillissement  pour peu que cette arrivée soit organisée.

- pour les salariés de l’aide à domicile
La dernière augmentation de la valeur du point date du 1er avril 2009. L’avenant n°10 signé le 12 mars dernier portant augmentation de la valeur du point a fait l’objet d’un refus d’agrément. Ce refus a fait l’objet d’un arrêté en date du 19 juillet dernier publié au journal officiel du 30 juillet. Aucune information sur l’avenant traitant de la revalorisation des indemnités kilométriques. N’y-a-t-il pas, au demeurant un certain mépris à laisser une branche de 220 000 salariés, sans réponse pendant 4 mois en publiant finalement un arrêté dans la deuxième partie du mois de juillet ? Il est vrai que la branche n’a jamais été reçue non plus par la Ministre des Affaires sociales et de la Santé, comme si nous ne faisions pas vraiment partie de la « famille » du médico-social. Cette absence de politique salariale nuit à l’attractivité de notre secteur et à la fidélisation des salariés en poste aujourd’hui. De nombreuses structures peinent de plus en plus à recruter.
 
L’année dernière les parlementaires ont créé une Contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA). Une section a été créée dans le budget de la CNSA pour recevoir cette taxe. « Les ressources de cette section sont destinées au financement des mesures qui seront prises pour améliorer la prise en charge des personnes âgées privées d'autonomie. » indique l’article 17 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. UNA a salué la création de ce dispositif. Pour deux raisons. Parce que notre fédération souhaite que cette caisse se voit confier un rôle de pilote dans l’accompagnement de la perte d’autonomie. Parce que l’affectation de la CASA à la CNSA peut laisser penser que les fonds ne seront pas utilisés pour d’autres financements. Mais sans naïveté non plus, car si cette contribution est la seule prévue pour financer le triple A, autant dire que la réforme sera remise à plus tard.
 
Monsieur le Premier Ministre, Madame la Ministre des Affaires sociales et de la santé, Madame la Ministre des personnes âgées et de l’autonomie, nous ne voulons pas croire à une issue qui casserait les espoirs nés dans les déclarations, d’abord du candidat Hollande puis du Président de la République. Nous avons besoin de signes tangibles sur votre volonté de réforme.

*UNA : Union Nationale de l’Aide, des Soins et des Services aux Domiciles

Publié le 13/09/2013 à 07:10 | Lu 1085 fois