Dalida : interview de la réalisatrice Lisa Azuelos

Alors que le film Dalida sort ce jour sur les écrans français, revenons plus en détails sur les raisons qui ont poussé la réalisatrice Lisa Azuelos à mettre en scène ce film, ce biopic comme on dit de nos jours, sur cette star qui a séduit des générations de seniors.


Lisa Azuelos, pourquoi un film sur Dalida ?

À dire vrai, je n’étais pas particulièrement fan de Dalida avant de commencer à travailler sur elle. On me l’a en quelque sorte mise sous le nez lorsqu’on m’a proposé le projet ! Dès que j’ai commencé à me documenter sur elle, j’ai senti une émotion très forte, et qui n’a fait que croître. Dalida n’est pas qu’une femme de records - artiste française la plus récompensée du show business, 170 millions de disques vendus, 2.000 chansons enregistrées, 70 disques d’or etc... - c’est un personnage hors du commun. Tous les gens célèbres n’ont pas eu un destin. Elle, si.
 
Que voulez-vous dire ?

Sa trajectoire est aussi lumineuse que tragique ! La vie de Dalida, c’est un roman, avec tous les ingrédients des séries les plus addictives. Sa gloire a été à la hauteur de son immense solitude. Très vite, j’ai su qu’il fallait raconter non pas l’histoire d’une femme tout court mais l’histoire d’une femme qui n’arrive pas à être heureuse. Je voulais donner l’extrême-onction à Dalida. Qu’on la comprenne, que l’on excuse son geste final. Sa malchance a été d’être une femme moderne dans une époque qui ne l’était pas ! À 25 ans près elle aurait pu garder ce bébé « hors mariage » ou avorter dans des conditions qui ne l’auraient pas rendue stérile, ou encore assumer d’être une « cougar ». Elle n’aurait - peut-être – pas été malheureuse au point de se suicider.
 
Pourquoi le projet de ce film a-t-il pris autant de temps ?

Sans doute parce qu’avec un personnage aussi immense, aussi complexe, rien ne peut être simple ! Le projet a changé de direction, d’actrice, d’angle. J’ai laissé tomber une première fois mais le film m’est revenu… Curieusement, je savais qu’un jour j’y arriverais car en 2012, une médium m’a dit « Dalida est contente que vous racontiez son histoire ». J’ai répondu « Ça m’étonnerait, je devais écrire le scénario mais le projet est abandonné » et elle répondu « Si, dans quatre ans, il y aura bien un film et vous le réaliserez »… Alors on croit à ces choses-là ou pas… Mais elle avait vu juste !
 
Contrairement à de nombreux « biopics », vous ne faites pas le focus sur une partie de sa vie mais sur l’ensemble ?

Parce que je pense que l’enfance de Dalida, sa relation à son père surtout, explique son rapport aux hommes jusqu’à la fin. Sa vie et sa mort sont les deux faces d’une même pièce. Pour la comprendre, on ne peut pas en faire l’économie. Et toutes les phases de sa vie artistique et amoureuse sont intéressantes, des années « San Remo » au disco, ç’aurait été un crève-coeur d’en laisser de côté ! J’ai déjà la frustration de ne pas avoir pu tout raconter. Et d’avoir dû couper le film, qui faisait presque trois heures au départ !
 
Comment s’est passée la collaboration avec Orlando qui cosigne le scénario ?

Très, très bien. Sa présence était un garde-fou, l’assurance de rester dans la vérité de Dalida. Il a très bien compris que notre but était le même : travailler à la rendre éternelle. Orlando avait trois exigences : approuver le scénario, le choix de la comédienne qui ferait sa soeur et celui de l’acteur qui jouerait son propre rôle, ce qui est bien légitime. En échange, il a parfaitement respecté ma liberté artistique. Il m’a parfois guidée dans l’écriture (« Ca, tu ne peux pas passer à côté, Lisa ! ») mais il m’a laissée ne pas toujours coller à la réalité. J’ai écrit beaucoup de choses en me laissant traverser par ce que je ressentais. Je ne le remercierai jamais assez de sa confiance.

Comment avez-vous procédé pour vous approprier Dalida ?

J’ai commencé par tout lire, tout voir, tout écouter d’elle ! J’ai aussi été aidée par le fait que son style de vie m’était familier. Étant la fille de Marie Laforêt, je voyais bien ce que ça signifiait d’être chanteuse dans les années 70-80… Le glamour, la politesse, la pudeur de cette période, l’attention permanente de tout le monde (surtout des hommes qui décidaient quasiment tout pour vous, d’ailleurs), mais aussi les petites choses, comme avoir une dame avec un tampon pour imprimer votre signature sur les photos dédicacées... tout ça, je connaissais, aucun risque que je parte dans des fantasmes à côté de la plaque. Sur Dalida elle-même…

C’est très étrange de rentrer dans la vie de quelqu’un aussi intimement, d’autant qu’au fur et à mesure, j’ai réalisé qu’à travers sa vie j’allais parler de moi. La première année d’écriture, j’ai été très mal, sans doute car j’ai trouvé plein de correspondances entre nous deux, dans notre intérêt pour la spiritualité ou notre rapport aux hommes par exemple. Comme elle, je n’ai jamais douté de moi dans la sphère professionnelle mais j’ai toujours douté dans la sphère intime. Mais moi, j’ai eu la chance de pouvoir être mère, ça fait toute la différence. Grâce à elle j’ai appris sur moi, notamment que je n’aurais pas supporté le vide d’une vie sans enfant. Je me l’étais camouflé jusqu’à présent.

 
Vous n’avez pas eu la crainte de faire un film trop sombre ?

Je savais que ça ne pourrait pas être un « feel good movie », mais je savais aussi que Dalida est un personnage à deux facettes : en elle co-existent la femme, si souvent malheureuse et la chanteuse, si solaire. C’est pour ça que j’ai choisi de raconter sa vie sous le double prisme des hommes qu’elle a aimés et de ses chansons. Elle a eu de grandes joies, et pas seulement professionnellement. Sa passion charnelle pour Richard Chanfray, notamment, est un moment très joyeux du film.
 
Est-il vrai que vous avez vu 200 comédiennes avant de trouver Sveva Alviti ?

Oui ! On a commencé par la France, mais toutes les actrices que j’ai vues roulaient les ‘R’, c’était too much ! Est-ce parce qu’on n’a pas trop la culture des accents, ici, ça faisait très artificiel. Donc nous avons élargi le casting à l’Italie et au Moyen-Orient. Quand j’ai vu la video de Sveva, j’ai senti quelque chose de très fort. Quand elle est venue à Paris, il restait encore 20 comédiennes en lice. Sveva a chanté Je suis malade, et là, cette force d’émotion ! J’en ai pleuré. Elle était quasi-débutante, elle ne parlait pas français, mais à la fin quand elle m’a dit « Je suis Dalida », j’ai répondu « Je sais ».
 
Et pour les garçons ?

Je me suis régalée, car Dalida n’aimait que les beaux gosses ! J’ai eu la chance d’avoir exactement les acteurs dont je rêvais. Ils m’ont tous bluffée, tant Nicolas Duvauchelle (Richard Chanfray) et Jean-Paul Rouve (Lucien Morisse) que ceux qui passent plus vite dans la vie de Dalida, Niels Schneider (Jean Sobieski), Alessandro Borghi (Luigi Tenco) et Brenno Placido (Lucio). Patrick Timsit (Bruno Coquatrix) et Vincent Perez (Eddie Barclay) eux aussi, sont plus vrais que nature. Et quand Riccardo Scamarcio, que j’étais allée voir dans les Pouilles m’a dit banco pour le rôle d’Orlando, j’ai su que j’avais le meilleur casting masculin… au monde !
 
Le film est terminé, quelle place occupe Dalida dans votre vie maintenant ?

Énorme, et pour toujours ! Dès le début de mon travail, je la sentais, pas loin, et je la sens encore. Je comprends parfaitement sa quête d’absolu, sa soif d’amour, le grand et pas le petit qu’on nous sert habituellement… Elle m’a appris à ne plus me laisser trimballer. Grâce à elle, je suis devenue ma meilleure amie. Je suis sûre qu’on se serait bien entendues car en plus de son talent et de sa classe, c’était une fille très gentille, je le sais. Je suis fière et heureuse d’avoir pu le remettre dans la lumière.


Publié le 11/01/2017 à 10:04 | Lu 2261 fois