Cosmétiques "sans" : pour ou contre avec le Dr Vigan

Dans le cadre du 10ème Congrès francophone d’allergologie qui s’est tenu la semaine dernière à Paris sur le thème Allergies et Vie Moderne, le docteur Vigan de Besançon s’interroge : « y a-t-il un rationnel à conseiller des cosmétiques « sans » ? Eléments de réponse.


Cosmétiques "sans" : pour ou contre avec le Dr Vigan
Les cosmétiques sont des produits qui, en Europe, doivent être conformes à la définition suivante : « toute substance ou préparation destinée à être mise en contact avec les diverses parties superficielles du corps humain, notamment l’épiderme, les systèmes pileux et capillaire, les ongles, les lèvres et les organes génitaux externes, ou avec les dents et les muqueuses buccales, en vue exclusivement ou principalement de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles ».
 
Ils doivent respecter les règles d’étiquetage (un produit « fait à la maison » n’est pas un cosmétique), de composition (respect des annexes) et de déclarations de dossier technique et de qualification de responsable(s). Ils ne doivent pas avoir d’allégation thérapeutique, ni nuire à la santé humaine dans les conditions normales d’utilisation. La composition des cosmétiques est régulée par les annexes régulièrement adaptées au progrès techniques. Hors annexes, tous les ingrédients sont libres, et leur sécurité est assurée par les bonnes pratiques de laboratoire et la cosméto-vigilance.
 
Malgré toutes ces précautions il peut y avoir des effets indésirables : par exemple des inductions de sensibilisation à un ingrédient tels la Para Phénylène Diamine des teintures capillaires ou le Méthylisothiazolinone. L’obtention par synthèse de ces ingrédients a permis de voir s’établir des lobbies « anti chimie » et pro naturel. Le Bio et le « sans chimique » a fleuri sur les étiquettes. Certaines teintures capillaires avaient besoin d’un milieu alcalin pour fonctionner et, alors que la réalité de la réaction allergique est due à la Para Phénylène Diamine, le « sans ammoniaque » a aussi fleuri. Il incite à utiliser de nouveau des teintures lorsqu’on se sait allergique, et occasionne des réactions allergiques intenses prises en charge dans les services d’urgence.
 
Par ailleurs des communications controversées sur les parabens, ont permis à la Commission Européenne de faire le point sur l’utilisation de ces conservateurs en supprimant ceux qui effectivement étaient utilisés mais qui pouvaient présenter un risque, cancérigène ou reprotoxique particulièrement. L’amplification de ces communications globalisées par les media a permis de voir s’établir un lobby « anti parabens » et de voir apparaître sur les étiquettes la mention « sans parabens » perçue par certains comme indice de qualité. Les parfums et les conservateurs sont des ingrédients actifs des cosmétiques, ils sont le plus souvent impliqués dans les réactions allergiques aux cosmétiques. Aussi des mentions « sans parfum » ou « conservateurs » ont vu le jour sur les emballages.

Quel est l’intérêt de ces mentions ?

Le premier bénéfice est pour l’industrie : « informé » par le « on-dit » le consommateur se dirige vers le « sans » en pensant acheter un produit irréprochable. Pour le consommateur le bénéfice est de se croire « intelligent » (celui qui a compris le problème) et de gérer ainsi ses angoisses dues à un monde qu’il ne comprend pas et qui le déstabilise. Pour le médecin dermato-allergologue ces mentions n’ont aucun intérêt : pour son patient allergique, seule la liste d’ingrédients bien lisible, bien exposée sur le dessus de l’étiquette pour être accessible avant achat, avec les ingrédients bien notés par ordre de concentration dans le produit final présente un intérêt.
 
Afin de conseiller des produits à utiliser par le patient, le médecin doit se tenir au courant de l’actualité allergologique en participant au Revidal, et/ou aux congrès dont le thème est l’allergologie cutanée, ou/et en lisant les articles de dermato allergologique, ou même en consultant le site de l’ANSM. L’actualité depuis 2012 étant la sensibilisation aux isothiazolinones, le médecin qui conseille un produit doit donc éviter ce type de conservateur. Il doit connaître dès la visite médicale la liste des ingrédients des produits qui lui sont présentés. Par ailleurs le médecin doit savoir que le terme bio n’a pas un sens bien défini, et que les labels bio certifient seulement que le produit est conforme à un cahier des charges mis en place par leur promoteur : un label « bio » signifie que le produit a fait l’objet d’une attention particulière par son fabricant pour se conformer à des règles établies par le label pour choisir ses ingrédients par exemple. Ces règles ne sont pas une garantie de sécurité sanitaire établie par des preuves scientifiques. Les produits même bio doivent contenir des conservateurs, soit de l’annexe V utilisé selon le règlement, soit des substances non répertoriées comme conservateurs par le législateur, mais possédant une activité conservatrice, antimicrobienne et anti-oxydation. Même certains systèmes « air less » contiennent des conservateurs ou des antioxydants ; le « sans conservateur » est un exercice de sémantique.
 
Pour le législateur le « sans » ou le « bio » n’ont aucun intérêt. Ils ne sont pas inclus dans le nouveau règlement européen. Il n'y a pas deux chimies : celle des plantes et celle de l’industrie. La vie sur terre est liée à la chimie du carbone. Lorsque les composés étaient naturels et utilisés depuis des siècles, ils bénéficiaient d’une impunité non évaluée avant que le système REACH (*) n’ait été mis en place. REACH a permis de détecter un certain nombre d’ingrédients traditionnels comme cancérogène ou reprotoxique. REACH ne concerne que les substances utilisées au-dessus d’une tonne par an, mais il a fait la preuve que des ingrédients traditionnels avaient des effets délétères qui nécessitaient une régulation par les annexes.
 
Par ailleurs grâce à la cosmétovigilance, les ingrédients de synthèse apparus récemment et induisant des réactions allergiques ont pu être rapidement détectés. Par exemple, le hydroxymethylpentylcyclohexenecarboxaldehyde ou le méthyl dibromoglutaronitrileont été régulés, la Para Phénylène Diamine a vu sa régulation renforcée, le problème du Méthylisothiazolinone est en cours. Pour mémoire la cosmétovigilance concerne tous les cosmétiques et toutes les réactions. C’est ainsi qu’à la suite de problèmes neurologiques induits par les huiles essentielles celles-ci ont été interdites chez les enfants de moins de trois ans, et limitées chez les enfants de 3 à 7 ans. La commission publie régulièrement des directives d’adaptation au progrès technique qui adapte l’utilisation des ingrédients selon les données scientifiques validées.
 
Pour conclure : les produits « sans » ont sans doute une vertu commerciale, mais il n y a pas de rationnel scientifique pour les conseiller. Depuis 2000 le travail REACH, la mise en place des bonnes pratiques de laboratoire et la cosméto-vigilance, apportent une sécurité qui avait été seulement envisagée au XXème siècle. Seule la liste « ingrédients » mise en bonne place, accessible dès avant l’achat, et connue dès la visite médicale, a un rationnel scientifique et peut intéresser le médecin et le patient allergique. Ceci est à rapprocher de l’information portée sur les aliments pour les allergiques : seules les informations sur ce qui est réellement contenu ou qui risque d'être contenu dans le produits sont retenues par le législateur.

Publié le 28/04/2015 à 01:00 | Lu 1841 fois