Chirurgie ambulatoire : la France en retard

Du fait des progrès technologiques des dernières années et au vu des études existantes, une part bien plus importante d’actes chirurgicaux pourraient être réalisés en ambulatoire : c’est le message que portent les chirurgiens vasculaires. Ces spécialistes des maladies des artères et des veines appellent à lever les freins et changer les mentalités, pour que cette prise en charge se développe dans leur discipline, en accord avec la volonté des patients et celle des pouvoirs publics.


Qu’est-ce que la chirurgie ambulatoire ?
La chirurgie ambulatoire est un mode de prise en charge permettant de raccourcir l’hospitalisation pour une intervention chirurgicale à une seule journée. La durée de séjour à l'hôpital peut alors aller de quelques heures à moins de 12 heures. Elle ne comprend donc pas d'hébergement et doit se faire uniquement au bénéfice de patients dont l'état de santé correspond à ce mode de prise en charge.
 
Pratique chirurgicale de référence pour les principaux pays occidentaux, la chirurgie ambulatoire a mis du temps à se développer en France. Son essor récent (en moyenne 1,7 point par an) sous l’impulsion d’une politique incitatrice et de recommandations de la Haute Autorité de santé peine toutefois à atteindre le taux de plus de 50% des chirurgies fixé pour 2016. En cause, un essor inégal selon les actes, les secteurs et les territoires.  
 
Pourquoi développer la chirurgie ambulatoire ?
L’ambition du développement de la chirurgie ambulatoire repose sur deux promesses, l’une médicale, l’autre économique. D’un côté, il y a l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, notamment par la réduction du séjour hospitalier et du risque d’infections nosocomiales. De l’autre, il en résulte une baisse des coûts pour les établissements et donc pour l’assurance maladie. Des arguments soutenus par une attente essentielle, celle des patients : plus de 80% se déclarent en faveur du développement de ce type de prise en charge. 
 
En 2014, le taux de sorties le jour même de l’intervention chirurgicale atteignait environ 45%. Or, on estime que 80% de tous les actes chirurgicaux réalisés en France, en dehors des urgences, pourraient l’être en ambulatoire. La chirurgie ambulatoire doit être une chirurgie de qualité et privilégier les techniques moins invasives. Moyennant des critères d’éligibilité très stricts (état clinique stable, consentement éclairé, résidence à moins d’une heure de l’hôpital, présence d’un proche…), elle permet aux patients de retrouver plus rapidement leur domicile, ce qu’une majorité d’entre eux souhaitent. La réduction des durées de séjour contribue aussi à la diminution des risques d’infections nosocomiales et à la maîtrise des dépenses de santé. 
 
La chirurgie vasculaire, cas d’école pour l’ambulatoire
Devenue majoritaire pour certains actes chirurgicaux (cataracte, chirurgie de la main, circoncision, méniscectomie…), la prise en charge ambulatoire reste très insuffisamment développée dans d’autres domaines. La chirurgie vasculaire fournit un excellent exemple de cette situation contrastée. Cette spécialité s’occupe du traitement chirurgical et endovasculaire des maladies des artères et des veines (hors cœur et cerveau) comme l’artérite, les varices, la sténose carotidienne ou l’anévrisme de l’aorte abdominale.  
 
• Une pratique majoritaire pour les varices…
« Le traitement des varices a bénéficié des mesures mises en place pour favoriser le développement de l’ambulatoire à partir de 2004-2005, explique le Dr Philippe Nicolini, chirurgien vasculaire à la Clinique du Parc à Lyon. Le taux d’ambulatoire est passé de moins de 60% en 2010 à 76% en 2015, avec pour objectif de dépasser les 80% en 2016, quand d’autres pays dépassent déjà les 95%...
 
• … mais très minoritaire en chirurgie artérielle
Le traitement de l’artériopathie des membres inférieurs en ambulatoire concerne, lui, moins de 2% des interventions. Pourtant, le développement des techniques endovasculaires, nettement moins invasives que la chirurgie conventionnelle, permet de réduire le temps d’hospitalisation à une seule journée. 
 
« Le traitement endovasculaire artériel en ambulatoire est la pratique de routine dans beaucoup de pays : 80% aux USA, 70% en Allemagne, mais moins de 2% en France, alors qu'il a montré ses bénéfices pour le patient et pour l’économie de santé », rappelle ainsi le Pr Yves Alimi, Chef du Service de chirurgie vasculaire de Marseille.   
 
• Des études encore peu nombreuses mais favorables
« Le fait que la lésion soit simple ou compliquée ne conditionne pas la faisabilité d’une chirurgie artérielle ambulatoire. Les études montrent qu’on peut intervenir de façon sûre sur tous types de lésions artérielles en ambulatoire, à partir du moment où les critères d’éligibilité anatomiques, l’état clinique du patient et des critères sociaux liés au patient le permettent », indique pour sa part le Pr Yann Gouëffic, chef du service de chirurgie vasculaire au CHU de Nantes. Un frein vient en revanche du manque d’études. Mais celles qui existent plaident en faveur de l’ambulatoire pour l’angioplastie des artères des membres inférieures.   
 
« Des réticences existent encore, reconnaît le Dr Jean Sabatier, chirurgien vasculaire à la Clinique de l’Europe (Rouen) mais elles devraient être levées par les études en cours et les recommandations des sociétés savantes qui en découleront », estime-t-il. 
 
• Des perspectives inattendues
Des travaux récents montrent que l’ambulatoire pourrait même se développer de manière efficace et sûre pour le traitement de pathologies où cela n’aurait pas semblé possible il y a seulement quelques années. Ainsi, plus d’un tiers des patients atteints de sténoses carotidiennes pourraient être traités en ambulatoire. De même pour les patients atteints d’un anévrisme de l’aorte abdominale.
  
« Avec le traitement endovasculaire de l’anévrisme de l’aorte abdominale, à savoir la mise en place, par voie fémorale, d’une prothèse armée d’un stent pour traiter l’anévrisme par l’intérieur, la morbi-mortalité est réduite par rapport à une chirurgie ouverte. Si bien que ce traitement n’est plus réservé aux patients à haut risque chirurgical. Il s’est étendu à 70% des interventions dans les pays occidentaux », indique le Dr Philippe Chatelard, chirurgien vasculaire à Lyon (clinique Saint-Charles).
 
« Les durées de séjour ont ainsi baissé, atteignant moins de trois jours en moyenne. Les études ont montré que les complications au niveau de la ponction fémorale étaient les mêmes qu’en chirurgie conventionnelle, ce qui permet techniquement d’envisager une chirurgie ambulatoire. On estime aujourd’hui que 30 à 40% des patients porteurs d’anévrismes de l’aorte abdominale remplissent les critères anatomiques et cliniques pour y être éligibles », poursuit-il. 
 
Les incohérences des forfaits hospitaliers expliquent pourquoi l’endovasculaire artériel en ambulatoire demeure balbutiant, avec moins de 2% des actes de stenting iliaque et fémoral en 2014. Par ailleurs, en dépit d’une forte incitation financière au « tout ambu », la mauvaise adaptation du libellé des actes ambulatoires freine encore leur développement en chirurgie des abords d’hémodialyse. Celle-ci se prête pourtant particulièrement à une hospitalisation courte.
 
« La chirurgie de l’abord vasculaire recouvre une grande variété d’interventions, dont beaucoup, 70 à 80%, sont accessibles à l’ambulatoire. Trois sont même des gestes marqueurs : la pose de cathéter vasculaire pour circulation extracorporelle, la création d’un accès vasculaire artérioveineux (AVAV) et l’exérèse d’un AVAV. Il faut réduire le temps passé en établissement pour des patients qui viennent jusqu’à trois fois par semaine en centre de dialyse. L’intervention chirurgicale peut s’organiser dans la même journée que la dialyse, à condition que l’état de fatigue de la personne le permette, note le Dr Armand Bourriez, chirurgien vasculaire à la Clinique de l’Europe, Rouen.  
 

Publié le 29/04/2016 à 01:00 | Lu 4642 fois