Asthme et littérature : quand la maladie s'invite au sein d'une oeuvre... Par le Pr. Jean-Pierre Orlando

Prosper Mérimée, Marcel Proust et Raymond Queneau ont tous les trois souffert d’asthme, à des degrés différents. Quelle a été l’influence de cette maladie sur leur comportement personnel et sur leur pouvoir créatif ? En ont-ils fait état ? Comment l’ont-ils relayé (ou pas) dans leur oeuvre ? Pour certains, à travers leur correspondance, pour d’autres dans leurs personnages de littérature, ils ont livré des descriptions cliniques ou des ressentis parfois très bien analysés, permettant de faire des liens inédits entre leur état somatique et psychologique. Le point avec Jean-Pierre Orlando, pneumologue, responsable du groupe de travail « Pneumologie et culture ».


On observe d’ailleurs que certains traitements préconisés à l’époque, souvent peu efficaces sont considérés, à la lumière de nos connaissances actuelles, comme farfelus. La corticothérapie par voie générale et surtout par voie inhalée a complètement modifié l’évolution de la maladie à tel point qu’on peut se demander si Proust, confiné à l’époque dans sa chambre pour « échapper » aux crises d’asthme, aurait écrit de nos jours « A la Recherche du Temps perdu » de la même façon.
 
Marcel PROUST (1871-1922)

S’il est un nom de la littérature que l’on associe à l’asthme, c’est bien celui de Marcel Proust. Dans les années 1910, l’auteur de « A la Recherche du temps perdu », affrontait sa souffrance sans décrire vraiment ses crises. Les mots parlent d’eux-mêmes (« étouffements, asphyxie ») pour évoquer la sévérité de sa maladie, dont il se fera l’écho essentiellement dans ses correspondances.
 
Né en 1871, dans des conditions difficiles, Marcel Proust est un enfant délicat et nerveux qui connaîtra sa première crise d’asthme à l’âge de 9 ans. Son père, pourtant inspecteur général des services sanitaires et professeur d'hygiène à la faculté de médecine, membre de l'Académie de Médecine, conseiller technique pour la France de toutes les Conférences internationales sanitaires de cette époque, ne pourra pas guérir son fils dont la maladie ira en s’aggravant. Vers 30 ans, celui-ci multiplie les précautions pour éviter les crises et met tout son entourage, amis compris à contribution. Il devient son propre médecin et s’auto prescrit des médicaments, chers, en vente libre, essentiellement des barbituriques. A la fin de sa vie, il usera d'adrénaline pour lutter contre son asthénie. Le 18 novembre 1922, il s’éteindra des complications d’une bronchite.
 
Raymond QUENEAU- écrivain, poète (1903 – 1976)

Raymond Queneau est un des auteurs surréalistes les plus connus de la seconde partie du 20eme siècle, poète et essayiste, Il ne parlera jamais directement de son asthme mais le fera, à travers ses personnages auxquels il prête des crises dont les descriptions valent toutes les sémiologies médicales. Queneau était atteint par « l’Asthme », en un temps où seule la poire d’aleudrine pouvait constituer un traitement symptomatique d’appoint. Si dans sa première jeunesse les pollens ont été le principal facteur déclenchant, au fil du temps, avec le vieillissement bronchique, sa maladie s’est chronicisée devenant autonome et permanente.
 
Prosper MERIMEE (1803- 1870)

Prosper Mérimée, né à Paris en 1803, fut une personnalité complexe, à plus d'un titre. Souffrant d’un asthme tardif, il en fait beaucoup état dans sa correspondance mais cela ne transparaît pas dans son oeuvre. Il est essentiellement connu pour son oeuvre littéraire, notamment ses nouvelles dont les plus connues sont Colomba et Carmen popularisée par l'opéra de Georges Bizet. Il l’est peut-être moins pour son travail passionné d'inspecteur général des monuments historiques où il travaille en collaboration avec Eugène Viollet-le-Duc à la protection et restauration de très nombreux édifices en péril, parmi lesquels la basilique de Vézelay, Notre-Dame de Paris ou la Cité de Carcassonne. L’envers de la médaille est son asthme apparu alors qu’il avait plus de quarante ans. Asthme tardif (selon nos critères actuels) qui a évolué vers une insuffisance respiratoire chronique et qui handicapa sa vie sociale et professionnelle à en croire son abondante correspondance dans laquelle il décrit avec minutie ses symptômes respiratoires et son ressenti sur la vie, la mort, les médecins et toutes les illusions thérapeutiques.
 
Pour en savoir plus sur ce thème, on peut rappeler le livre « Le Souffle Coupé - Respirer et Ecrire », de François Bernard Michel, paru chez Gallimard, 1984. Prix de l'Académie Française et Prix des Lectrices de "Elle".

Publié le 30/01/2015 à 04:00 | Lu 4691 fois